LA DIRECTION DE PRO-BTP GRANDE GAGNANTE DES ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES INTERNES
Par Mickaël Ciccotelli | 27/10/2016
Il y a peu, BI&T avait présenté à ses lecteurs le paysage syndical singulier de Pro-BTP. A l'issue des élections professionnelles, qui viennent d'avoir lieu après deux années de report, la direction de Pro-BTP peut souffler. Ses partenaires syndicaux maintiennent globalement leur position et pourront ainsi constituer un appui de choix dans le cadre de la constitution de l'Alliance Pro.
Le triomphe de la CGT
Observant les résultats des élections professionnelles d'octobre, l'observateur extérieur peu au fait des us et coutumes de la vie syndicale de Pro-BTP conclurait que c'est la ligne contestataire qui l'emporte. La CGT est en effet la première organisation de l'entreprise (30,8 %, + 3,3 points par rapport à 2012) et FO la seconde (22,8 %, + 0,4 point par rapport à 2012) : à elles deux, la CGT et FO sont majoritaires et en progression. A l'inverse, les organisations traditionnellement qualifiées de "modérées" ne dépassent que de peu les 40 % et régressent par rapport à 2012 : la CFDT chute à 27,1 %, soit - 10 points par rapport à 2012 et la CFE-CGC atteint 14,6 %, en hausse 2,3 points par rapport à 2012.
L'analyse plus détaillée des résultats montre que la victoire de la CGT Pro-BTP s'appuie sur des bases solides. Si ses progressions dans certains établissements sont annulées par ses pertes dans d'autres, elle peut en revanche compter sur ses succès dans trois établissements où son implantation n'est que très récente : ceux de Malakoff, de Mérignac et de Nancy, où elle réalise entre 20 et 33 % des voix.
Fort logiquement, la CGT Pro-BTP, dite "CGT réseau national", se félicite de "dépasser la barre des 30 %" et de "devenir pour la première fois la première OS à PROBTP". Elle remercie ses adhérents, dont le "travail" et "l'implication au quotidien ont été payants". Le réseau national conclut, allusif : "Merci à tous et tant pis pour les oiseaux de mauvais augures". A qui donc est-il ici fait référence ?
Un succès diversement interprété
Puisqu'il faut bien rendre à César ce qui est à César, assumons d'emblée notre part de responsabilité. Nous qualifiant de "donneurs de leçons" aux "esprits étroits" suite à notre "diatribe fantaisiste" sur le syndicalisme pratiqué chez Pro-BTP, les responsables de la CGT Pro-BTP ont refusé de répondre à nos questions. Fort heureusement pour nous, d'autres "oiseaux de mauvais augure" ont accepté de nous donner leur avis sur le succès du "réseau national".
L'organisateur de la CGT Pro-BTP Regard, syndicat qui n'adhère pas au réseau national et qui n'y est pas précisément en odeur de sainteté, s'étonne de la rapidité de l'implantation de la CGT dans les établissements où elle était absente auparavant. "C'est très difficile d'implanter la CGT quelque part. Celui qui veut faire un vrai travail syndical n'est pas bien vu, la direction fait tout pour l'en empêcher. Comment est-il donc possible de créer aussi facilement trois sections ?" se demande-t-il. En réalité, la réponse est simple : comme le reconnaît le réseau national lui-même, les trois nouvelles implantations sont le fait de salariés qui ne sont pas encore adhérents à la CGT. Un ratissage assez large, que la direction de Pro-BTP a sans doute jugé inutile de combattre...
Interrogées à ce sujet, les trois fédérations CGT dont relève la CGT Pro-BTP : les organismes sociaux, la santé et la construction, sont restées discrètes. Seule la CGT construction a accepté de nous répondre. Elle trouve "étrange" la constitution si rapide de listes CGT composées de non syndiqués à la CGT et déplore le fait que le réseau national a retoqué toutes les candidatures qu'elle lui a proposées dans le cadre de ces élections. Entre la CGT qui siège au CA de Pro-BTP et celle qui est présente dans les murs de l'institution, le courant passe mal. Et ça fait un moment que ça dure.
Une CGT version molle
La CGT construction revient sur les raisons qui ont conduit la CGT Pro-BTP à s'affilier à plusieurs fédérations à la fois - une pratique plutôt étrange dans le milieu. "A un moment donné, nous avons signifié au réseau national qu'il y avait des dysfonctionnements au niveau de la démocratie syndicale. Nous n'avons pas réussi à nous entendre avec eux et, pour l'essentiel, ils sont donc partis aux organismes sociaux". La CGT construction rajoute que ces désaccords liés au fonctionnement du réseau national s'ajoutaient à des conceptions divergentes de l'action syndicale : "Disons que nous ne partageons pas la même définition de ce qu'est la démarche syndicale."
Une manière euphémisée de dire que la CGT Pro-BTP n'est pas un syndicat très combatif ? Il est vrai que des doutes sérieux peuvent ici être formulés. Il suffit pour s'en convaincre de se pencher sur l'un des derniers numéros de "l'Impertinent", la publication du réseau national. Au sujet de la santé économique et financière de Pro-BTP, la CGT s'y satisfait : "en prévoyance, on fait notre beurre". Elle donne quelques leçons de capitalisme à la direction : "on pourrait investir une partie de nos réserves pour améliorer nos produits et nos prix pour rendre nos contrats plus attractifs et prendre des parts de marché". Ernst and Young n'a qu'à bien se tenir ! Multipliant les envolées lyriques de cet acabit, la CGT Pro-BTP rappelle, certes, en toute fin de propos, parce qu'il le faut tout de même bien, que "si ces réserves acquises par le travail du personnel pouvaient aussi servir à la récompenser......" Foule esclave, debout ! debout !
Bien plus grave encore, le syndicat CGT renégat du siège social dénonce vivement la passivité du réseau national CGT dans le cadre des procédures de licenciement lancées contre certains syndicalistes... CGT ! Ainsi, en 2015, une élue CGT issue de l'établissement de Charenton (où la CGT totalise plus de 70 % des voix) a été licenciée sans aucun soutien de la CGT, devant compter sur l'assistance de la CFDT lors de son entretien préalable. Plus récemment, une procédure du même type a été lancée contre une élue CGT de Wasquehal, qui elle ne peut compter que sur l'appui de l'UL CGT de Roubaix mais ne bénéficie d'aucun soutien syndical chez Pro-BTP.
L'Alliance Pro dans la poche
Dans cette configuration d'ensemble, il faut bien admettre que la partie d'Hervé Naerhuysen ne sera pas trop difficile. En particulier, il pourra compter sur le patriotisme institutionnel des syndicats internes à Pro-BTP afin de prendre à son compte la constitution de l'Alliance Pro. Si la CGT construction, qui siège au CA de l'institution, n'est guère favorable au rapprochement professionnel tel qu'actuellement envisagé, et si la CGT des organismes sociaux est officiellement opposée aux fusions de ce genre du fait de leurs conséquences sociales, la CGT Pro-BTP a déjà fait sien ce projet et pousse afin qu'il soit réalisé au profit de Pro-BTP.
Là encore, le fort mal nommé "l'Impertinent" s'avère révélateur de la manière dont les responsables du réseau national appréhendent le syndicalisme. Se vantant de "rame[r] pour mettre en place une Alliance professionnelle", ils déplorent : "un de nos alliés s'est fait la malle" et espèrent juste que, dans ce "grand marivaudage", Pro-BTP ne sera pas le "partenaire trompé [du] quatuor infernal". Le sort des salariés ne semble guère, en revanche, questionner les auteurs du canard. Comme l'objecte, certes, la CGT construction, c'est après tout avec ce discours volontiers corporatiste que la CGT Pro-BTP a obtenu la première place aux élections. Ceci est indéniable. "On ne peut pas leur enlever ça, ils sont suivis par les salariés" poursuit la fédération.
Lorsque l'Alliance Pro et son lot de rationalisations budgétaires vont être mis en œuvre, il n'est toutefois pas évident que la CGT Pro-BTP pourra continuer à claironner aussi haut et fort son enthousiasme à l'égard de la politique de la direction. Tout indique qu'à moyen et long termes, Solidaires, qui vient de faire une entrée remarquée dans le paysage syndicale de l'entreprise, totalisant 4,5 % des voix, a de l'avenir chez Pro-BTP...
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